dimanche 2 septembre 2012

Introduction

Ce cours a pour but de procurer aux ingénieurs-élèves une connaissance intuitive et générale, mais exacte, de l'informatisation et des systèmes d'information. Il ne prétend pas épuiser l'ensemble du sujet : c'est un thème de recherche, de réflexion et d'expérience qui peut occuper une vie entière.

Le cours s'appuie sur De l'Informatique, savoir vivre avec l'automate, Economica, 2006, que l'on peut télécharger en cliquant sur www.volle.com/ouvrages/informatique/informatique1,pdf. Cet ouvrage, dont la forme s'est inspirée du De la guerre de Clausewitz jusqu'à imiter son excessive longueur, vise à fournir à de futurs stratèges une compréhension correcte de l'informatisation et de son importance.

La version rédigée du cours, ici présente, en condense l'essentiel et reprend le contenu de quelques articles auxquels elle apporte des compléments et qu'elle enrichit de liens vers des textes plus détaillés.

Le lecteur curieux pourra trouver dans www.volle.com des choses qui ne figurent pas dans le cours mais qui, d'aventure, pourraient lui être utiles. La bibliographie indique enfin une liste d'ouvrages : ceux qui semblent les plus intéressants sont signalés par un commentaire.

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Jetez un coup d’œil dans les bureaux d'une grande entreprise : vous y verrez des personnes assises devant un écran-clavier, à moins qu'elles ne soient en réunion. L'écran clavier leur donne accès à un système d'information, sur lequel et dans lequel elles travaillent.

La ressource informatique à laquelle ces personnes accèdent au bureau n'est donc pas la même que celle à laquelle elles peuvent accéder à domicile : il ne s'agit pas, ou pas seulement, de consulter le Web, d'échanger par messagerie ou de participer à un réseau social. Le système d'information balise en effet l'action productive, professionnelle, qu'il outille et qu'il permet de contrôler. Il définit l'espace mental dans lequel les agents opérationnels accomplissent leurs tâches.

Visitons maintenant une usine : on est impressionné par la place prise par les automatismes. L'essentiel de la production physique, de la production des biens, est réalisée par des robots, seules étant faites à la main des tâches particulièrement délicates comme l'emballage. Dans l'usine où les robots s'activent, on ne voit que quelques superviseurs assis devant un écran clavier et qui contrôlent le flux de la production, et quelques équipes de maintenance qui entretiennent ou réparent les robots.

Une tendance est à l’œuvre dans les usines comme dans les bureaux : toutes les tâches répétitives ont vocation à être automatisées, qu'il s'agisse de la production de biens ou de la production de documents ou encore de services. Ne resteront à terme que les tâches non répétitives, celles qui exigent du discernement et du jugement. La main d’œuvre, qui était embrigadée et encadrée pour exécuter des tâches répétitives, est remplacée par des robots et sa place, dans l'emploi, est prise par du « cerveau d’œuvre ».

Comme la ressource humaine essentielle est désormais non plus la main, mais le cerveau, la structuration de l'espace mental que réalise le système d'information est devenue essentielle. Si elle est maladroite le cerveau sera mal à l'aise car il est sensible aux erreurs de logique et aux absurdités. Le stress au travail, dont on a de nombreux témoignages, s'explique en grande partie par ce fait-là.

L'efficacité de l'entreprise, de l'institution, dépend au premier chef de la qualité de son système d'information. C'est pourquoi elle doit être parmi les premiers soucis du dirigeant, du stratège – d'autant plus, nous le verrons, que cette qualité rencontre dans l'entreprise des obstacles « politiques » qui ne peuvent être levés que par l'intervention d'un dirigeant légitime.

Le fait est que lorsque l'on rencontre une des rares entreprises dont le système d'information est de haute qualité, et que l'on s'enquiert de la façon dont il a été mis en place, on reçoit toujours la même réponse : « le patron s'est impliqué personnellement ». Le fait est aussi que lorsque « le patron » ne s'implique pas, le système d'information présentera inévitablement l'un ou l'autre des défauts que nous allons évoquer dans le courant du cours.

Un système d'information mal conçu ressemble à une maison mal construite : des couloirs et des escaliers qui s’enchevêtrent, un toit qui fuit, des pièces auxquelles on n'accède qu'en passant par la fenêtre, des portes trop étroites ou trop basses, des fondations fragiles et des murs de guingois. C'est que l'on ne retrouve pas dans le système d'information l'évidence physique et culturelle de la maison : on ne peut pas le voir d'un seul coup d’œil car il n'apparaît que par morceaux et progressivement à travers l'étroite fenêtre de l'écran-clavier, et pour évaluer sa qualité il faut avoir accumulé une expertise.

Le dirigeant d'une entreprise n'est pas nécessairement un informaticien – et même s'il en est un, son savoir n'est pas nécessairement celui qu'il faut posséder pour assumer la conduite stratégique du système d'information car l'informatique se ramifie en plusieurs spécialités étroites.

Il faut d'abord qu'il ait en tant que stratège une vue suffisamment exacte de l'économie qui entoure son entreprise, dont le positionnement a été transformé par l'informatisation : celle-ci a modifié en effet en quelques années la nature des produits, la façon de les concevoir et de les produire ainsi que les formes de la concurrence.

Mais il ne suffit pas d'en rester à cette vue générale, il faut aussi qu'il sache comment informatiser sa propre entreprise. Cela suppose une fine adaptation aux besoins spécifiques des divers métiers, mais aussi la connaissance de quelques règles d'architecture qui sont, elles, de portée absolument générale.

Prenons de nouveau la métaphore de la maison. Elle doit être construite selon une fine adaptation aux besoins du client, mais elle doit aussi respecter les règles générales de l'architecture concernant la solidité des fondations, la portée des poutres, l'étanchéité des toits, la fonction des murs porteurs ainsi que les réseaux d'eau, d'énergie, de chauffage et de communication.

L'architecture d'un système d'information obéit à des règles tout aussi contraignantes. L'expérience montre cependant que beaucoup de systèmes d'information ne les respectent pas : c'est comme si l'entreprise violait la simple logique, comme si elle affirmait par exemple que 2 + 2 = 5, et cela saute aux yeux.

Pourquoi de telles erreurs sont-elles si fréquentes ? C'est parce que le respect des règles d'architecture oblige souvent à bousculer les habitudes acquises, et remet souvent en question les contours des zones de pouvoir, notamment les attributions des diverses directions. Ce respect ne peut donc être imposé que par l'intervention directe du stratège en personne, et pour cela il faut qu'il connaisse les règles d'architecture et qu'il connaisse le prix que l'entreprise doit payer si elles sont violées.

Il arrive souvent, lorsqu'un expert invite l'entreprise à respecter les règles d'architecture du système d'information, qu'on lui reproche d'avoir « l'esprit de système » et de poser des « problèmes de personne ». Seul le soutien du dirigeant lui permettra d'agir.

Si le système d’information respecte toutes les règles d'architecture, cela ne suffit pas : il faut aussi qu'il soit finement adapté aux besoins spécifiques de l'entreprise, qu'il réponde à ses priorités. On quitte alors le domaine des règles pour entrer dans celui de l'art, qui exige discernement et intuition, car la connaissance des besoins suppose d'interpréter la demande qui n'en est qu'une expression souvent inexacte et maladroite. Là aussi des méthodes existent, car l'art lui-même en possède : elles concernent la dialectique entre les maîtrises d'ouvrage et la maîtrise d’œuvre du système d'information.

Ce cours va explorer ces diverses dimensions du système d'information. Elles sont toutes simultanément présentes dans la réalité, et elles interagissent. Nous allons cependant devoir les examiner séparément et l'une après l'autre, car telles sont les contraintes d'un exposé.

Pour bien comprendre le phénomène de l'informatisation, il faut le situer dans l'histoire et le comparer à d'autres phénomènes comme la mécanisation ou la maîtrise de l'énergie : ce sera l'objet du cours d'aujourd'hui.

Le cours suivant sera consacré aux règles d'architecture, à l'ingénierie du système d'information, qui s'articule en quatre étapes : ingénierie sémantique, ingénierie du processus de production, ingénierie du contrôle, ingénierie d'affaires (ou stratégique).

Cette semaine nous aura ainsi permis d'acquérir des connaissances fondamentales. Nous consacrerons la semaine suivante à la description des méthodes qui permettent de les mettre en œuvre, à la prospective des systèmes d'information et à leur dimension stratégique, voire même géopolitique.

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